Valentina Mennesson, née par GPA : «Il faut reconnaître les enfants sans attendre»
Sa famille est l’emblème de la gestation pour autrui en France. A l’occasion de la sortie le 17 janvier de «Moi, Valentina, née par GPA», le livre de Valentina Mennesson, née d’une mère porteuse aux États-Unis, nous avons rencontré cette ado comme les autres.
« Enfants issus d’une gestation pour autrui (GPA) » est-il le pendant d’« enfants perturbés par une montagne de troubles psy » ? Avec sa superbe nonchalance, Valentina Mennesson, 18 ans, ne réalise sans doute pas à quel point elle incarne un contre-argument massue à ceux qui le pensent. Et ce, en étant simplement une fille de sa génération. Avec une réaction anodine, elle nous renvoie au jeune que nous avons toutes et tous été : elle lève les yeux au ciel lorsque sa mère, qui l’accompagne à notre rendez-vous avant de s’éclipser, lui reproche discrètement sa tenue trop courte.
On sourit, on aurait fait la même chose à son âge et on pense à cet extrait de son livre qui sort jeudi, « Moi, Valentina, née par GPA », où elle parle de ses deux meilleures amies : « On est connectées en permanence, sur les réseaux sociaux et dans la vraie vie. On échange dix fois par jour par téléphone. »
Absentes de l’état civil français
Valentina est la sœur jumelle de Fiorella. Toutes deux sont nées par GPA aux États-Unis, où la pratique est légale. Elles sont les filles de l’emblématique couple Mennesson, Sylvie et Dominique, qui se bat depuis 2000 pour les faire reconnaître par la France où cette technique de procréation est interdite. En vain jusqu’à maintenant. Alors qu’elles sont aujourd’hui majeures, elles n’existent toujours pas dans les registres de l’état civil français.
Pour la première fois, Valentina, la plus discrète, a décidé de prendre part au débat qui entoure sa naissance. « Je n’ai connu que cette façon de naître, mais c’est la dernière chose que j’utiliserais pour me désigner », précise-t-elle. Pour l’étudiante en économie qui suit son cursus à Londres (Royaume-Uni), tout est clair et chaque personne est à sa place : ses parents, la donneuse d’ovocytes et la « gestatrice ». Elle préfère ce terme à celui de « mère porteuse », pouvant prêter à confusion et « qui n’a pas lieu d’être », tranche-t-elle. La famille est d’ailleurs restée en contact avec les deux femmes, la donneuse et celle qui a porté les deux bébés.
«C’est ma mère qui a subi le plus de critiques»
Livre didactique décrivant par le menu les étapes d’une GPA, journal de bord reprenant son enfance et son adolescence préservées au maximum du combat judiciaire parental, l’ouvrage est aussi une pudique déclaration d’amour et de totale légitimité à ses parents, qui ont choisi cette solution contre la stérilité. Surtout à sa mère. « C’est elle qui a été le plus touchée, qui a subi le plus de critiques. Inconsciemment, elle a dû parfois douter », analyse Valentina dans une colère froide contre ceux qui obligent Sylvie « à se justifier d’être une mère comme les autres ».
« Moi, je n’arrive même pas à imaginer qu’elle puisse douter de quoi que ce soit. Non, je ne penserai jamais qu’elle n’est pas notre mère, puisqu’elle est notre mère, notre maman, celle qui a pris soin de nous, nous a portées dans son cœur et dans son âme pendant toutes ces années, s’est levée la nuit au moindre pleur ou pour nous donner le biberon, nous a soignées au moindre bobo, s’est inquiétée pour nous à la moindre toux, nous a bichonnées, câlinées, accompagnées à l’école, élevées… aimées et qui nous aimera toujours ! »
«Il faut reconnaître les enfants sans attendre»
Et à l’école avec les petits camarades ? Elle prend, certes un peu plus de temps à expliquer les conditions de sa naissance (qu’elle a toujours connues), mais seulement si le sujet est abordé. Ce qui est arrivé peu souvent. « Ce qui les intéressait surtout c’était ma nationalité américaine (NDLR : elle a obtenu depuis la double nationalité) parce que c’est hyperstylé », ironise l’étudiante, d’ailleurs « hyper lookée ».
Bien sûr, elle souhaiterait que la GPA soit autorisée en France, « mais cela ne se fera pas maintenant. Le temps d’organiser un système solide pour l’encadrer et de préparer les esprits… Mais il faut reconnaître les enfants sans attendre, insiste Valentina. Moi, je me sens bien en France mais, elle, elle ne veut pas que je m’y sente bien ».
« Moi, Valentina, née par GPA », de Valentina Mennesson, le 17 janvier aux éditions Michalon, 148 pages, 16 €.
UN PARCOURS JUDICIAIRE HORS DU COMMUN
Plus de 15 décisions de justice ponctuent le parcours des Mennesson.
Octobre 2000. Valentina et Fiorella naissent en Californie aux États-Unis, où la GPA est légale. Sylvie Mennesson étant atteinte d’une malformation l’empêchant de porter un enfant, la mère porteuse a reçu des embryons issus des spermatozoïdes de Dominique Mennesson et d’un don d’ovocytes d’une amie du couple. Des certificats de naissance sont établis en Californie désignant les époux Mennesson comme parents. Mais la France refuse la transcription de ces actes.
2005. Sur instruction du parquet, les actes de naissance sont transcrits en 2002 sur les registres d’état civil. Moins d’un an plus tard, le procureur de Créteil assigne les deux parents en justice afin de faire annuler cette décision. Le tribunal juge l’action irrecevable en 2005. La cour d’appel de Paris confirme ce jugement. À ce stade, le couple a donc obtenu une transcription des actes.
2008. La procédure se poursuit. La Cour de cassation annule en 2008 l’arrêt de la cour d’appel de Paris, estimant que les actes étant liés à une GPA, interdite en France, ils ne peuvent être transcrits. Nouveau jugement de la cour d’appel de Paris en 2010 : la transcription des actes de naissance est bien annulée.
2014. Le couple initie une procédure devant la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Elle condamne la France pour son refus de reconnaître la filiation. En juillet 2015, la Cour de cassation en tire les conséquences. Des enfants nés par GPA peuvent être inscrits sur les registres de l’état civil français mentionnant leur père. Le lien de filiation avec la mère qui les élève ne sera en revanche pas reconnu. L’acte doit mentionner comme mère la femme ayant accouché.
Juillet 2017. La jurisprudence de la Cour de cassation évolue. Elle ouvre la voie à la reconnaissance légale des deux parents par le biais d’une procédure d’adoption, ce que refusent les Mennesson, estimant qu’ils n’ont pas à adopter leurs filles.
21 septembre 2018. L’avocat de la famille demande à la Cour de cassation la transcription des actes pour les deux parents. La Cour décide de solliciter un avis consultatif de la CEDH sur la transcription d’un acte de naissance désignant une « mère d’intention », en l’occurrence Sylvie.