ETAT CIVIL ET GPA : LA COUR EUROPÉENNE DES DROITS DE L’HOMME RÉPONDRA AUX QUESTIONS DE LA COUR DE CASSATION
A plusieurs reprises, la Cour européenne de droits de l’homme a été saisie concernant la transcription à l’Etat civil français de la filiation paternelle et maternelle d’enfants nés de gestation par autrui à l’étranger. Sa première intrusion majeure dans le droit français date du 16 juin 2014 (cf. La CEDH condamne la France : vers la légalisation de fait de la GPA et CEDH – affaire Mennesson et Labassee : une porte ouverte à la GPA). Considérant à la fois le droit au respect de la vie familiale et le droit de l’enfant, elle a condamné la France qui refusait de transcrire les actes de naissances des enfants nés de gestation par autrui. Elle a considéré que la marge d’appréciation des Etats en la matière était réduite, dès lors qu’était en cause l’identité des personnes, dont la filiation constitue un aspect essentiel, et que l’intérêt des enfants exigeait que le lien de filiation à l’égard de leur père biologique soit reconnu.
Une décision que la France aurait pu contester, comme ce fut le cas sur des questions de GPA dans d’autres pays comme en Italie (cf. GPA : Pas de droit à la vie familiale fondée sur l’achat d’un enfantet GPA : la CEDH retrouve la raison). Mais elle ne l’a pas fait, laissant la Cour ouvrir une brèche dans la cohérence du droit de la filiation français.
Dans les derniers arrêts rendus par la première chambre, la Cour de cassation, dans un dernier effort de conformité, a accepté de transcrire la filiation paternelle, dès lors qu’elle était avérée, mais imposait à la femme commanditaire de la GPA une démarche d’adoption.
Dans ce contexte, confrontée à la demande persistante d’un couple qui souhaite que la « mère d’intention » soit désignée à l’état civil comme « mère légale », sans passer par une procédure d’adoption, il n’est pas forcément étonnant que les juges de la Cour de cassation aient choisi de saisir la CEDH (cf. GPA et « parents d’intention » : la Cour de Cassation sollicite la CEDH) ; le 16 octobre 2018.
La Cour de Cassation a posé deux questions :
« 1) En refusant de transcrire sur les registres de l’état civil l’acte de naissance d’un enfant né à l’étranger à l’issue d’une gestation pour autrui en ce qu’il désigne comme étant sa « mère légale » la « mère d’intention », alors que la transcription de l’acte a été admise en tant qu’il désigne le « père d’intention », père biologique de l’enfant, un Etat-partie excède-t-il la marge d’appréciation dont il dispose au regard de l’article 8 de la Convention de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales ? A cet égard, y a-t-il lieu de distinguer selon que l’enfant est conçu ou non avec les gamètes de la « mère d’intention » ?
2) Dans l’hypothèse d’une réponse positive à l’une des deux questions précédentes, la possibilité pour la mère d’intention d’adopter l’enfant de son conjoint, père biologique, ce qui constitue un mode d’établissement de la filiation à son égard, permet-elle de respecter les exigences de l’article 8 de la Convention ? »
La CEDH a fait savoir le 3 décembre, qu’elle avait « accepté la demande d’avis consultatif », et que, conformément au règlement de la Cour, une « grande chambre a été constituée » le 4 décembre. Par ailleurs, « compte tenu du caractère prioritaire de la demande », la Cour de Cassation ayant « sursis à statuer jusqu’à l’avis de la Cour », les questions seront examinée en priorité et les délais « abrégés ».Les observations écrites des parties devront être adressées à la Cour « au plus tard le 31 janvier 2019 ».
Cet avis « motivé et non contraignant » portera-t-il l’estocade finale à l’équilibre devenu précaire du droit de la filiation français ?